19 • Conjuntura Internacional • Belo Horizonte, ISSN 1809-6182, v.17 n.1, p.19 - 26, mai. 2020
Les origines du conflit syrien (2011-
2018)
1
: de l’hégémonie Baathiste à la
suprématie néolibérale
As origens do conflito sírio (2011-2018): da hegemonia Baathista à supremacia neoliberal
e origins of the Syrian conflict (2011-2018): from Ba’athist hegemony to
neoliberal supremacy
Felipe Costa Lima
2
DOI: 10.5752/P.1809-6182.2020v17n1p19
Reçu le 25 mai 2019
Accepté le 17 septembre 2019
Résumé
L’objectif de cet article réside dans la démonstration de l’influence du néolibéralisme et des
réformes néolibérales dans le conflit syrien (2011-2018). Afin d’atteindre cet objectif, il
est indispensable de mettre l’accent sur la perte hégémonique du parti Baath, surtout à
partir des changements des « idées/habitudes » du Baathisme au néolibéralisme.
Mots clés : Baathisme. Néolibéralisme. Hégémonie.
Resumo
O objetivo deste artigo é a demonstração da influência do neoliberalismo e de suas respec-
tivas reformas sobre conflito sírio (2011-2018). A fim de atingir esse objetivo, a análise
da perda hegemônica do partido Baath será indispensável, principalmente a partir das
mudanças das “ideias/hábitos” do Baathismo ao neoliberalismo.
Palavras chave : Baathismo, Neoliberalismo, Hegemonia.
Abstract
e goal of this article is to explicit the influence of neoliberalism and its reforms as con-
cerns the Syrian War (2011-2018). To achieve this goal, it is crucial to contemplate the
hegemonic loss of the Baath Party, mainly from the changes concerning the ‘ideas/habits
from Ba’athism to neoliberalism.
Keywords : Ba’athism, Neoliberalism, Hegemony.
1 Article basé sur le mémoire « Analyse critique de l’évolution du droit international à la lumière de l’exemple syrien : du colo-
nialisme au néocolonialisme », qui a été soutenu le 5 septembre 2018 à l’Université de Strasbourg, France.
2 Professeur temporaire de civilisation lusophone et d’histoire de l’Amérique Latine à l›Institut d›études Romanes de l›Université
de Strasbourg, France ; doctorant en Droit International à l’Université de Strasbourg, ainsi que doctorant à la Pontifícia Univer-
sidade Católica de Minas Gerais, Brésil (Bourse CAPES) (Cotutelle de thèse). Numéro ORCID 0000-0001-6390-3950.
Artigo
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Introduction
Le néolibéralisme constitue un phéno-
mène global, malgré ses spécificités locales, au
regard des caractéristiques singulières des pays
et des régions dans le monde (GRAMSCI,
1982; MORTON, 2007; WORTH, 2010).
Le mouvement pro-marché est né d’une pers-
pective nationale (États-Unis), qui s’est ensuite
étendue au contexte mondial afin de profiter à
ce pays. Il semble que les États-Unis étaient le
principal articulateur et bénéficiaire de l’impo-
sition du néolibéralisme dans le monde, tout
comme le Royaume-Uni l’était pendant l’hé-
gémonie libérale (ARRIGHI; SILVER, 2003).
Selon Cox e Schechter (2002), l’empire amé-
ricain a pour modus operandi la tentative de
contrôler les États, à travers la structuration de
son système économique dans un vaste marché
de capitaux, de biens et de services.
À partir des conceptions de l’École de
Francfort, ses riches héritages des concepts,
idées et pratiques analytiques marxiens, ainsi
que les études d’autres théoriciens – comme Lu-
kacs, Gramsci, Benjamin, Adorno et Horkhei-
mer – ont alors été développés et réinterprétés
à la réalité contemporaine. Dans ce contexte,
le néolibéralisme constitue un exemple primor-
dial, vu l’objectif des classes dominantes trans-
nationales (PIJL, 2005) de transformer leurs
intérêts particuliers en des intérêts universels.
Dans ces conditions, en particulier, l’idéologie
(MARX; ENGELS, 1999) constitue le chemin
pour établir ces intérêts comme les seuls raison-
nables et universellement valables (telle une loi
éternelle) (HIRSHC, 1975).
Les changements dans l’organisation de
la production, de la distribution et des modes
de consommation promus par l’idéologie néo-
libérale ont eu pour conséquence une profonde
crise sociale à l’échelle mondiale. Concernant
la Syrie, bien que certains objectifs fondamen-
taux ont été satisfaits, par exemple l’augmen-
tation de la productivité, des gains d’efficacité
et une meilleure allocation des ressources, le
néolibéralisme a imposé des conséquences ca-
tastrophiques aux conditions sociales de la po-
pulation syrienne (KADRI; MATAR, 2016).
Pendant la recherche hégémonique, la
coercition et le consensus sont les moyens de
mise en œuvre principaux (GRAMSCI, 1982).
S’agissant du consensus, la diffusion d’une
culture et d’un mode de pensée particulier
au sein de la société, notamment à travers des
ramifications de l’État, se révèlent essentiels,
étant donné que les idéaux et les bases poli-
tiques des sociétés ont besoin d’être connectés
aux conditions économiques fortifiées.
C’est pourquoi, nous rechercherons dans
un premier temps, les piliers de la construc-
tion hégémonique Baathiste. Ensuite, nous
analyserons les changements économiques, so-
ciaux, politiques et idéologiques causés par les
reformes néolibérales en Syrie, notamment au
cours du gouvernement de Bachar al-Assad et
ses effets sur l’hégémonie Baathiste.
Lorsque la Syrie était au bord du conflit,
deux logiques idéologiques contradictoires se
sont établies: les promesses socialistes de dé-
veloppement initiées par l’État, à partir d’un
contrôle coercitif autocratique (l’idéologie
Baathiste) et la possibilité de mobilité vers le
haut et le plaisir des consommateurs (des ini-
tiatives personnelles appuyées par l’idéologie
du marché). Dans ce contexte, nous voulons
mettre en évidence que le conflit syrien actuel
peut être expliqué à partir de ce changement
hégémonique, bien que d’autres raisons soient
aussi indispensables pour l’expliquer, étant
donné sa complexité.
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Afin d’atteindre ces objectifs analytiques,
il est indispensable, à notre avis, d’appliquer la
méthode des structures historiques de Robert
Cox (1981), sachant que la théorie critique se
révèle une méthodologie cruciale pour la com-
préhension des changements hégémoniques
au niveau du monde. Nonobstant, bien que
les contextes des capacités matérielles et l’ins-
titutionnalisation soient fondamentaux à cette
appréhension, nous approfondirons surtout
l’encadrement des idées et habitudes en Syrie
à partir d’analyses macro-historiques de la pé-
riode de l’hégémonie Baathiste et du néolibéra-
lisme. Dans cet encadrement, les trois axes de
domination de ompson (2000) seront fon-
damentaux: la coercition, les élites médiatrices,
et le développement d’un ordre civil.
La construction de
l’hégémonie baathiste – des
idées et habitudes autochtones
Il est indispensable de mettre en évidence
la métamorphose de la bourgeoisie d’État sy-
rienne depuis la révolution Baathiste jusqu’à
la révolte syrienne des années 2010. Le coup
d’état du Parti Baath pendant les années 1960
a conduit à des profonds changements dans la
société syrienne. Ces réformes ont commencé
avec le gouvernement d’Abdel Nasser entre
1958-1961 (pendant l’union entre la Syrie et
l’Égypte) et ont été développées après la révo-
lution (JOYA, 2010).
La classe militaire Baathiste, dans le cadre
de l’étatisme du Parti Baath, dans les années
1970 et 1980, tirait ses privilèges directement
de la domination informelle des institutions pu-
bliques et de son utilisation pour ses propres in-
térêts et de ses circonscriptions. Par conséquent,
cette classe militaire avait un profond besoin du
gouvernement central et de la division de pou-
voir imposé par celui-ci (JOYA, 2010).
Il semble que la force de ce médiateur
Baathiste ne se compare pas avec la force des
élites nationalistes médiatrices de la période
postcoloniale. Concernant la construction de
l’ordre civil, l’extension des « tentacules » éta-
tiques ont atteint les niveaux les plus profonds
depuis la fin de l’Empire Ottoman (THOMP-
SON, 2000). En ce sens, l’axe de médiation,
bien qu’essentiel, était moins important au
cours du régime Baathiste, par rapport au ré-
gime colonial précédent. De ce fait, le renfor-
cement du contexte des idées et habitudes a été
mis en place, compte tenu de l’amélioration
des conditions de vie de la population et, ainsi,
l’expansion de l’idéologie baathiste socialiste.
Concernant la construction et la présence
de l’État dans l’ordre civil, une brève analyse des
changements dans les zones rurales du régime
Baathiste liés au néolibéralisme nous donnera
une idée des changements relatifs à la promo-
tion du bien-être entre ces périodes. La montée
de l’aile gauche du Baath et son arrivée au pou-
voir en 1966 ont conduit à d’intenses réformes,
comme la limitation de la propriété privée, des
nationalisations, la redistribution des terres,
l’amélioration des conditions de travail, le sa-
laire minimum, la limitation de la journée
de travail, transformant, par conséquent, une
agriculture marquée par des relations féodales
(TAHA, 2014).
Par ailleurs, dans les journaux, dans la té-
lévision et lors des spectacles orchestrés par le
gouvernement d’Hafez al-Assad, ce dernier était
symbolisé comme le « père » de la nation. En ce
sens, le culte de la personnalité d’Hafez al-As-
sad participait à une stratégie politique disci-
plinaire de dissimulation publique, en utilisant
une forme subtile mais efficace de pouvoir. Par
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ailleurs, la rhétorique officielle du parti Baath
mettait l’accent sur la fierté de ce parti dans le
commandement de la politique étrangère de la
nation, afin d’étendre un large consensus en fa-
veur d’une résistance nationale, en raison des
conspirations étrangères par rapport à la Sy-
rie (WEDEEN, 2013). De ce fait, le domaine
idéologique privilégié Baathiste a conduit, en
utilisant les concepts de Slavoj Zizek (1995), à
une soumission consciente à l’autorité (l’obéis-
sance, la conviction, la légitimité). En outre,
il est indispensable de souligner qu’il existait
des alternatives bien définies, avec une force
idéologique vis-à-vis du capitalisme libéral,
comme le socialisme soviétique et le Welfare
State (WEDEEN, 2013). En ce sens, une alter-
native idéologique autochtone a été appliquée
au territoire syrien par le gouvernement révo-
lutionnaire des années 1960, approfondissant
profondément ces idées et habitudes.
Néanmoins, la crise économique du mi-
lieu des années 1980 a provoqué des change-
ments profonds en Syrie (JOYA, 2010). Les
causes de cette crise ont été essentiellement la
chute des prix internationaux du pétrole en
1986, laquelle a conduit à une chute brutale
des flux d’aide des pays arabes conservateurs
vers la Syrie, ainsi que le déficit de la balance
des paiements. De surcroît, la priorité donnée
aux dépenses militaires, surtout après la guerre
israélo-arabe en 1973 et les accords de Camp
David de 1979 , a drainé des ressources prove-
nant d’autres contextes, notamment des pro-
jets de développement et d’infrastructure. En
conséquence, l’infrastructure de base n’a pas
jamais été réhabilitée et les niveaux de produc-
tion ont chuté (KADRI; MATAR, 2016). À
partir de ces bases, ainsi que des changements
causés par l’expansion de l’idéologie néolibé-
rale et le « manque d’alternatives » idéologiques
en raison de la crise et de la chute de l’ex-Union
Soviétique, les contre-réformes du régime de
Hafez al-Assad se sont approfondies à la fin des
années 1980.
Ces réformes s’écartaient des stratégies de
substitution aux importations de la période
Baathiste précédente. Parmi elles, nous trou-
vons le retranchement de l’État des services so-
ciaux et du secteur public, notamment à travers
des privatisations des entreprises et propriétés
publics (KADRI; MATAR, 2016).
Ce processus d’accumulation par expro-
priation et dépossession se révèle essentiel afin
de comprendre les nouveaux phénomènes glo-
baux. Cela est particulièrement le cas pour les
pays émergents dans le monde avec un modèle
de développement précédemment concentré
sur l’État, comme la Syrie. Il s’agit d’une force
pro-capitaliste intense au regard de la proléta-
risation de la main-de-œuvre et en raison de
la rupture des relations productives capitalistes
(la vente d’entreprises étatiques au secteur pri-
vé) et non capitalistes (des « attaques » contre
l’agriculture de subsistance) (HARVEY, 2004).
Plus précisément, à partir du processus d’accu-
mulation par dépossession et de la conséquente
transformation des contrôleurs en propriétaires
de moyens de production, 5% de la population
ont alors contrôlé plus de 50% de l’économie
(KADRI; MATAR, 2016).
En concluant cette première partie, le pas-
sage d’une économie dirigée par l’État à une
économie axée sur le marché a affecté profon-
dément un des piliers hégémoniques du parti
Baath, c’est-à-dire, les privilèges et le patronage
à sa circonscription ; ainsi, les idées et habitudes
originales Baathiste ont été remplacées par des
idéologies « extérieures ». En outre, le détour-
nement des ressources vers les nouveaux riches
a renversé les réformes progressistes du régime
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socialiste Baathiste. Le pilier de la promotion
du bien-être de la population, à travers des
services sociaux, et de la stabilité économique
(l’ordre civil) ont été profondément affectés par
la réduction du rôle du régime socialiste Baa-
thiste. De ce fait, la diminution du consente-
ment provoquée par ces réformes a mis en péril
l’hégémonie du parti Baath en Syrie.
La fin de l’hégémonie
baathiste en Syrie – des idées
et habitudes non-autochtone
À l’avis de Hinnebusch (2015), Bachar
al-Assad, depuis le début de son gouvernement,
a choisi de se ranger du côté de la nouvelle
bourgeoise commerciale au lieu de la vieille
garde Baathiste. Par conséquent, au regard de
la grande influence de ce parti à la campagne,
ce choix a concrètement signifié la perte de sa
base de soutien social rural sur le long-terme.
S’agissant de l’intensification des réformes
néolibérales, l’ouverture profonde de l’écono-
mie a engendré d’autres conséquences telles que
l’augmentation du taux de chômage (16,5%
en 2009) et celles du taux de pauvreté (dans
les zones rurales, 62% ; en général, 34,3% en
2010) (KADRI; MATAR, 2016).
Avant d’analyser plus attentivement les
conséquences économiques et politiques, nous
présenterons les conséquences idéologiques de
ces réformes dans la perspective de mettre en
évidence toutes les caractéristiques cruciales
pour le changement hégémonique et, par
conséquent, l’influence de ce dernier par rap-
port au conflit syrien.
Sous le gouvernement de Bachar al-Assad,
quelques pratiques ont persisté, notamment le
culte de la personnalité. De ce fait, selon We-
deen (2013), la rhétorique officielle sous Bachar
al-Assad n’a jamais complètement abandonné les
usages qui rappellent l’ancien régime de son père.
Pour autant, les changements ont été profonds.
En premier lieu, le contrôle de la rhéto-
rique du conflit n’était pas absolu, au regard
du défi d’autres interprétations du conflit par
d’autres chaînes de télévision par satellite,
comme l’Al-Jazeera et l’Al-Arabiyya. En outre,
depuis le début du soulèvement en 2011, des
critiques du président dans les réseaux sociaux
ont émergé, une chose impossible pendant la
période de Hafez. Toutefois, les ambiguïtés par
rapport à l’ère de Hafez al-Assad ont été les
sources principales de la perte du consente-
ment au gouvernement de Bachar al-Assad
(WEDEEN, 2013).
L’ère du marché capitaliste a imposé de
nouvelles subtilités vis-à-vis de la domination
Baathiste. L’idéal de modernité du marché capi-
taliste a fait apparaître le plaisir de consommer
comme l’objectif principal d’un individu dans
une société. A cet égard, le président lui-même
et la première dame ont construit l’image d’un
élitisme politique cosmopolite.
En outre, la propagande de l’État définis-
sait difficilement ses ennemis comme c’était le
cas pendant la période de Hafez al-Assad. Les
« fantasmes » les plus anciens comme la souve-
raineté nationale ou le multiculturalisme dis-
paraissaient peu à peu (WEDEEN, 2013).
Enfin, alors que les promesses de la
« bonne vie » au travers du néolibéralisme du
gouvernement de Bachar al-Assad étaient éten-
dues à l’ensemble de la société syrienne, les
expériences quotidiennes de l’inégalité écono-
mique dans les classes subalternes ont contredit
cette promesse de « bonne vie » formulée par
l’autocratie néolibérale (WEDEEN, 2013). Le
monde idéalisé du régime s’est révélé en oppo-
sition avec la réalité du monde.
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Les incertitudes de la période sont liées à la
manière dont l’idéologie a cessé, depuis les an-
nées 2000, d’être le domaine privilégié du parti
Baath, qui à la fois réglementait le contenu et
contrôlait les circuits institutionnels de la dif-
fusion idéologique. En conséquence, ces nou-
velles incertitudes ainsi que la désorientation
idéologique ont rendu possible de nouvelles
occasions de transgression et de résistance, car
ces nouvelles limites raisonnables, discutables,
explicables et pensables n’étaient pas claires.
À partir des privatisations, la nomenklatu-
ra a dominé directement les domaines autre-
fois publics ; en outre, l’ouverture financière
a approfondi la dépendance de la bourgeoisie
syrienne au classes bourgeoises financières et
commerciales des puissances mondiales, no-
tamment les États-Unis. Dans ce contexte, il
y a eu une profonde diminution de la dépen-
dance de l’ancienne classe militaire Baathiste
envers le gouvernement central syrien.
Conclusion
Au cours de la période Baathiste, la classe
militaire devait s’assurer du soutien des popula-
tions de ses circonscriptions et, en retour, celle-
ci recevait des privilèges de la part du gouver-
nement. Compte tenu du contrôle direct des
anciennes propriétés publiques par la nomen-
klatura et d’une plus faible dépendance de la
bourgeoisie au gouvernement, cette fonction
des militaires n’était plus nécessaire.
Dès lors que les conséquences directes du
néolibéralisme sur l’économie ainsi que sur le
tissu social ont été soulignées, il est important de
mettre l’accent sur le retrait de l’administration
étatique syrienne et la diminution du soutien de
sa base sociale. En outre, la cooptation de l’État
par la classe marchande militaire a aussi conduit
à la diminution de la présence étatique dans le
contexte social. Ainsi, le fossé entre les riches et
les pauvres s’est creusé de manière importante.
Néanmoins, l’origine du conflit actuel ne peut
s’ expliquer par les seules conséquences écono-
miques. En effet, les changements des forces
idéologiques constituent un élément de contexte
majeur pour la compréhension du conflit.
De nouvelles formes d’interactions so-
ciales, de connexion affective, d’optimisme, et
des nouveaux modes de vie et de consommation
ont affecté directement les valeurs de l’ordre et
de l’obligation citoyenne (WEDEEN, 2013).
La cohésion des idées et habitudes Baathiste est
donc étroitement liée au régime économique de
substitution aux importations (capacités maté-
rielles) et a permis une certaine hégémonie. L’ar-
rivée du néolibéralisme a toutefois altéré la force
des piliers médiateurs et de « bien-être » ; donc,
la gestion d’un vieux régime dans le cadre du
néolibéralisme a fragilisé le pouvoir étatique et
a provoqué l’instabilité. Des vielles idées et ha-
bitudes (le socialisme et l’autocratie baathiste)
n’étaient plus en connexion avec les nouvelles
capacités matérielles (le néolibéralisme).
La base armée Baathiste (le premier pilier)
et les vestiges de l’ancien régime (le deuxième
et le troisième pilier) sont devenus les outils du
régime de Bachar al-Assad au cours du conflit
syrien contemporain. Enfin, l’application et l’in-
ternalisation par la loi interne de la Syrie des pré-
ceptes néolibérales semblent avoir joué un rôle
primordial vis-à-vis de l’instabilité de ce pays
durant le gouvernement de Bachar al-Assad.
De plus, l’expansion néolibérale et ses ma-
nifestations politiques les plus connues, telles que
les privatisations, la révision des codes de travail,
la libération des prix ou encore l’ouverture au
capital étranger et aux spéculations financières,
ont éliminé en Syrie et dans autres parties du
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monde des politiques économiques et sociales
conduites directement par les états. Le retrait de
la présence de l’état au sein de la société syrienne
a suscité d’intenses tensions entre les différentes
classes sociales, des crises fiscales, l’accroissement
de la pauvreté, l’augmentation du chômage, le
démantèlement des syndicats, la perte durable
du soutien social au régime, et l’expansion d’une
idéologie opposable aux bases Baathistes.
Par conséquent, nous pouvons affirmer que,
pendant les années 1960, le Parti Baath a trans-
formé ses intérêts particuliers en intérêts natio-
naux de la Syrie, à travers la capture de la relation
dialectique entre la structure économique (le
modèle de l’industrialisation par la substitution
d’importations et le Welfarisme construit dans ce
pays) et la superstructure idéologique (la coexis-
tence multiculturelle de la sécurité intérieure
et de la souveraineté de l’État). Néanmoins, les
changements néolibéraux ont mis en danger
cette construction hégémonique de manière pro-
fonde. De cette manière, il semble possible d’as-
surer que, alors que les idées et habitudes pendant
la période d’hégémonie Baathiste ont été mis en
place d’une façon cohérente aux préceptes écono-
miques de cette hégémonie, durant l’hégémonie
néolibérale le changement des idées et habitudes
ont mis en péril l’hégémonie du groupe révo-
lutionnaire des années 1960. En quelque sorte,
l’administration autocratique de Bachar Al-Asad
est devenue le reste d’un passé éloigné.
La complexité d’un tel conflit est évidente.
En ce sens, il ne s’agit donc pas d’affirmer que
l’expansion néolibérale représente la seule explica-
tion au conflit syrien actuel. En effet il est possible
de mettre l’accent sur d’autres aspects, comme
l’héritage colonial , les divisions sectaires, l’insa-
tisfaction à l’égard de la corruption de notoriété
publique des fonctionnaires d’État, les répressions
brutales des manifestations pacifiques, etc.
Néanmoins, il semble que les mêmes inter-
venants qui appellent aujourd’hui au concept de
« guerre juste », afin de justifier des interventions
humanitaires à la lumière du droit international,
ont soutenu et continuent de soutenir différentes
formes de pillage économique, politique et social à
l’encontre d’autres pays, causant, par conséquent,
des instabilités qu’eux-mêmes veulent réparer par
la force (BUTLER, 2011; ORFORD, 2003). Il
est indispensable de souligner que d’autres ré-
gions du monde ont également traversé des pro-
cessus coloniaux ainsi que l’expansion néolibérale
sans pour autant déclencher un conflit. Dans ce
contexte, l’importance du Moyen Orient et de
ses ressources les plus précieuses, notamment le
pétrole, peut expliquer qu’une pression impéria-
liste plus forte s’exerce sur ces pays.
L’expansion du néolibéralisme en Syrie se
révèlent être un aspect crucial pour comprendre
les origines du conflit mais également pour em-
pêcher de nouveaux conflits sur le long terme,
après sa reconstruction. Toutefois, le projet de
reconstruction de ce pays ne semble pas s’être
défini sur cet objectif de sécurité durable.
A ce sujet, le Centre Syrien d’Etudes Poli-
tiques et Stratégiques , dès 2013 , a commencé
à tracer des plans de reconstruction de la Sy-
rie, notamment en termes économiques avec
les politiques monétaires et fiscales. Parmi les
préconisations de ce centre d ‘études on trouve
celle d’une suppression presque totale des bar-
rières économiques, c’est-à-dire, une économie
complètement libéralisée (WEDEEN, 2013).
La volonté de libérer davantage un marché
déjà très ouvert et de remplacer les anciens di-
rigeants démontre qu’il n’existe pas un véritable
compromis de reconstruction démocratique de
la Syrie, c’est-à-dire, à travers le contrôle social
de la politique et de l’économie. Au contraire,
ces propositions explicitent une volonté de rem-
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placer la « cleptocratie » actuelle par une autre
plus docile aux intérêts de l’impérialisme des
grandes puissances (WEDEEN, 2013).
Ainsi, la rhétorique d’une « intervention
humanitaire » ne semble pas crédible, mais un
exercice de l’impérialisme postcolonial.
Ces attitudes orientalistes contemporaines
inondent la presse et l’esprit populaire. Les
Arabes, par exemple, sont imaginés comme
des libertins chevauchant des chameaux, avec
des nez ivres, des terroristes, des vénaux, dont
la richesse imméritée est un affront à la vraie
civilisation. L’hypothèse est toujours que,
bien qu’il appartienne à une minorité numé-
rique, le consommateur occidental a le droit
de posséder ou de dépenser (ou les deux) la
plupart des ressources du monde. Pourquoi?
Parce que, contrairement à l’Oriental, il est
un véritable être humain. (…) Il n’y a pas
d’exemple le plus pur de la pensée déshuma-
nisée (SAID, 1996, notre traduction)
3
.
Donc, ces attitudes impérialistes sont loin
d’être effacées de la société internationale, non
seulement en raison de ces intérêts économique
et politique, mais aussi de la permanence des
discours orientalistes jusqu’aujourd’hui.
Bibliographie
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BUTLER, K. A critical humanitarian intervention ap-
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3 Essas atitudes orientalistas contemporâneas inundam a
imprensa e a mente popular. Os árabes, por exemplo, são
imaginados como libertinos a cavalgar camelos, com na-
rizes aduncos, terroristas, venais, cuja riqueza imerecida é
uma afronta à verdadeira civilização. Está sempre subjacen-
te a pressuposição de que, embora pertença a uma minoria
numérica, o consumidor ocidental tem o direito de possuir
ou gastar (ou ambas as coisas) a maioria dos recursos do
mundo. Por quê? Porque ele, ao contrário do oriental, é um
verdadeiro ser humano. (...) Não há exemplo mais puro do
pensamento desumanizado.
COX, R. Social forces, states and world orders: beyond Inter-
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